Discours-bilan du président honoraire à l’AG portant sur la dissolution de DPGE

Je publie ici le discours-bilan que le président honoraire que j’ai été ces dernières années a prononcé hier 25 novembre lors de l’AG ordinaire de l’association. Cette AG, dédiée à une décision de dissolution, a eu lieu devant une salle tristement réduite à cinq personnes du comité sur sept et deux puis trois membres en règle de cotisations. On aurait voulu signaler que notre association méritait de vivre ses dernières heures, qu’on ne s’y serait pas pris autrement. Aucune des personnes liges ayant participé en 2013 au lancement de l’association n’était présente et certains de ses partisans connus, dûment invités à nous rejoindre, ont brillé par leur absence. L’emphase voulue de ces paroles tendant à affirmer l’importance de notre héritage dans la conjoncture politique genevoise aurait pu tomber à plat devant une telle désertion. Merci à celles et ceux qui m’ont néanmoins encouragé par leurs chaleureux applaudissements. La version inchangée de l’allocution figurera, aux notes près, sur le site de DPGE et sera disponible en lien sous format PDF aux intéressé.es qui sont libres de la partager sur leurs réseaux. J’espère que la vision de DPGE pourra en sortir validement renforcée à l’avenir, indiscernable à l’heure qu’il est.

Dario Ciprut, 26.11.2024

Chères amies et amis de DPGE,

Ce « dernier » mot n’est pas celui de la fin puisque le vote est à venir [1] C’est un point final que je mets, avec l’aval du comité, à l’aventure DPGE que nous proposons de clore aujourd’hui, une harangue un tantinet testamentaire.

La bonne aventure des débuts

Je commencerai par un regard rétrospectif sur mes débuts dans les droits politiques des étrangers.

Le 30 mars 2010 je rejoignais ici même, délégué par StopEXclusion[2], un collectif[3] effervescent y tenant palabre. Sa première proposition collective[4] à la Constituante incluait parmi des revendications sur la naturalisation, l’intégration des migrants ou les droits fondamentaux, l’extension des droits civiques communaux et cantonaux aux étrangers résidents depuis 5 ans. Ce groupe s’alarmait que la commission thématique (CoT) des droits politiques l’ayant auditionné à l’automne 2019 songe à biffer le plan cantonal. Une 2ème proposition, appuyée par plus de signatures populaires, devait l’en dissuader avant la plénière de décembre et focaliser sur les droits politiques[5].

Le 29 avril, à peine un mois après, un collectif ViVRe[6] déboulait, lançait devant la presse au café des Bastions la récolte de signatures. J’y assumais, avec quelques autres[7], les premiers rôles. Le 1er mai, nous défilions sous banderole et le 10 juin, jour d’examen en plénière des thèses de la CoT, interpellions les constituants à l’entrée de l’Hôtel de Ville en y déposant 5347 paraphes collectés tambour battant. Cette expérience fut pour votre président un tremplin et l’occasion de relations persistantes avec une brochette diversifiée d’avocats de la cause civique[8].

Malgré ce succès et l’agitation de ViVRe, son aventure Constituante, après un soubresaut en 2ème lecture, finit en fiasco. Les étrangers firent les frais de tractations partisanes pour sauver un projet constitutionnel que ses promoteurs croyaient menacé par le maintien de leur éligibilité. Le 14 octobre 2012, le vote populaire du projet constitutionnel consacrait le statu quo des droits politiques[9] La gauche en sortait durablement fracturée, les partisans de l’avancée recommandant le NON et ouvrant la voie à ce qui deviendra l’association DPGE le 22 avril 2013.2min 50s

Une suite mieux connue

Les objectifs limpides de DPGE figurent dans ses statuts[10] Ses intentions de mobilisation de la société civile n’en ont pas moins progressivement dérivé en aiguillon fervent des seules échéances parlementaires et opérations électorales. Deux dépôts de projets de loi similaires[11] se sont succédé au Grand Conseil. Le premier, œuvre solitaire des Verts à fin 2012, chuta en commission puis au GC après débat libre le 14 février 2014. Le second, d’origine EAG[12], déposé en février 2019 par toute la gauche et une fraction du centre[13], emporta l’appui de la commission mais, saboté par un CE hostile à l’entrée en matière au GC, buta à une voix près le 26 mars 2021. En réaction, ses promoteurs reprirent inchangés ses termes pour déclencher au printemps 2022[14] l’initiative populaire VieVoixIci[15] Baptisée IN 189 en septembre, auréolée de l’appui de la commission et d’un Conseil d’Etat provisoirement revenu à gauche, l’initiative fut repoussée sans contre-projet[16] par le GC recomposé de 2023, et arriva en votation le 9 juin 2024.4min20s

Nous n’avons pas démérité

Ce 9 juin s’est soldé par une défaite incontestable, 39.11% d’avis favorables contre 47.22% en 2005 pour l’éligibilité. 19 ans pour faire avec 8.11% pire que « J’y vis, j’y vote » ? Non point ! Il faut faire mieux une prochaine fois mais il n’y a pas matière à découragement.

Primo, en 2005 le droit de vote ne portait que sur le plan communal et avait gagné de justesse. En 2024 nous allions loin sur le chemin de l’égalité cantonale, jusqu’à, nous l’a-t-on assez reproché, admettre des étrangers particulièrement populaires au Conseil d’Etat voire à Berne via le Conseil des Etats.

S’y ajoute un contexte politique nettement moins favorable. Feue l’ADG s’était en 2005 déjà fracassée en 3 sur le quorum[17], mais la gauche[18] restait majoritaire au CE. En 2023 la gauche radicale, faute d’accord électoral entre ses 4 formations[19], renouait en pire avec la déconfiture, n’atteignant ensemble même pas le quorum qu’elle doublait presque en 2005, et PS et Verts venaient de perdre leur majorité exécutive. L’appui de dernière minute du LJS à l’IN ne pouvait guère modifier le tableau d’une gauche à la peine partout en Europe.

Enfin 8.11% équivalent grosso modo à 10’000 voix, moins que le nombre de signatures glanées pour le dépôt de l’initiative.

Sauf à attendre que la marée nous porte vers l’autre rive, risquant de n’y jamais aborder, la mesure de l’effort à fournir par nos successeurs est plutôt encourageante.

Raisons d’une défaite

Si près du but en voix, pourquoi avoir échoué ?

Faute d’une étude fine du vote de l’électorat genevois, je vous livre ici ce que me susurre la déception de quitter la scène sans avoir pu faire franchir le Rubicon à mon canton préféré.

Trop d’objets à voter ont peut-être dissuadé les poids lourds de la gauche genevoise d’accorder l’efficace et généreuse attention méritée par le gros effort du comité de campagne.

A mon sens, le scepticisme jeté sur la prétendue intransigeance ou radicalité de l’IN expliquerait mieux la mollesse de nos soutiens traditionnels. La campagne médiatique en a été presque réduite, nos rares lettres de lecteurs exceptées, à Pascal Decaillet claironnant « il n’y a de bon vote que de suisse » en écho au trio des conseillères d’Etat[20] et à la réplique bien sentie de leur collègue Hodgers[21] au tonitruant Murat-Alder.

L’absence d’engagement de nos amis étrangers dans la campagne, hormis l’exemplaire mobilisation d’Unia[22], est moins compréhensible. Ils n’ont pas investi de quoi démentir ce que l’on nous jette à la figure au sujet de leur indifférence supposée à la cause. Un bruit douteux court qu’ils n’auraient pas été contactés, alors que DPGE avait battu le rappel, six mois avant le scrutin, à son AG annuelle dédiée le 29 novembre à la délibération publique de ses enjeux. Comment reprocher à qui ne détenait pas la clé du scrutin, réservé aux genevois de papiers, d’avoir, à l’image de la plupart des têtes de proue du comité unitaire, enjambé le Palais Eynard, généreusement prêté par une Ville de Genève ouverte à la démocratie de résidence en Europe.

Enfin, à l’essentiel ! A peine les premières estimations pointaient-elles à l’écran qu’un responsable associatif, jamais vu aux réunions du comité unitaire, osait le diagnostic « Trop gourmands ». Cet argument, déjà en vogue en queue de Constituante même dans nos rangs, nous rebat les oreilles dès qu’il a été question de projet de loi. Il sert de phare aux légions d’amateurs de plan B ou demi-portion. Je devrais dire « demi-potion », appât pour genevois du cru ou naturalisés tenus pour rétifs à avancer un orteil en direction des droits légitimes de nos frères et sœurs en résidence privés du sésame à croix blanche[23].Mépriser l’électorat qu’on doit convaincre reste pour moi un jeu immoral et dangereux. Je continuerai à réclamer pour les droits cantonaux le respect de « tout le programme, rien que le programme ». On néglige trop souvent la seconde partie. Elle refuse tout autant de tromper le public en visant au-delà de ce qui est explicitement demandé, à l’exemple de qui croit avancer un pion vers les lendemains qui chantent de la « naturalisation pour tous » ou la fin des Etats nationaux.9min30s

DPGE et après ?

Mettre la clé de DPGE sous la porte, est-ce pour autant tourner les talons ou baisser les bras ? Non, c’est admettre qu’une nouvelle équipe est devenue indispensable pour que le combat de la démocratie de résidence indépendante de la nationalité puisse reprendre à Genève. Conscient d’avoir trop, mal, ou trop seul embouché la trompette patriotique cantonale, regrettant de laisser la question aussi ouverte que je l’ai trouvée, je ne ménagerai pas mes efforts pour, toute dissolution bue, en conserver l’héritage. Il sera à léguer à une brochette d’enthousiastes aussi persévérants que le mérite une cause qui a de l’avenir en Europe et dans le monde.

Nous ne croyons pas que l’initiative dite des 4/4 soit la bonne réponse à la problématique que DPGE a courageusement voulu porter. Faute de temps, je me contente, quitte à m’en expliquer ailleurs, d’en dire quelques mots.

Deux mots sur 4/4

Cette initiative fédérale, dont l’efficace campagne vient d’aboutir, considère la très réelle difficulté à obtenir le passeport comme le principal obstacle à libérer notre démocratie de ses archaïsmes. La Suisse détient le triste record de plus d’un quart de résidents permanents privés de droits d’expression et de représentation politique[24].

Alors que l’amorce de la citoyenneté cantonale fait défaut dans 21 des 26 cantons, qu’elle reste incomplète dans les 5 autres, tous romands, je pensais la 4/4 prématurée. Je redoutais que l’énergie à soutenir un objectif global pour l’heure inatteignable, malgré un débat salutaire, nous distraie de l’exemple cantonal à portée. Même si ce sombre pronostic venait à être démenti, et l’écart nous séparant de nos voisins se réduire, une proportion non négligeable de résidents, non rivés à la Suisse de vie à trépas, resterait privée de partage démocratique.

Enfin, plus important à nos yeux, focaliser sur la naturalisation tend à obscurcir ce qui sépare la nationalité de la démocratie de résidence[25], que nos adversaires communs confondent à dessein.

Voilà qui explique que si nous soutenons la 4/4, nous ne l’aurions pas lancée.

Il est temps de conclure

Voici le dernier mot : un credo que je lègue à mes successeurs, s’il s’en présente !

Ne pas lâcher prise et poursuivre le chemin tracé par DPGE en évitant deux tentations de contourner la difficulté. Par le bas, en cherchant à faire participer indirectement ou à bas bruit les étrangers à la vie politique sans s’attaquer à leurs droits, ou par le haut en visant à abaisser le seuil de l’accès à la nationalité. Faire mieux que L’HYPERMODESTIE immédiate, visant à rejoindre le wagon de queue romande des orphelins de toute avancée cantonale, faire mieux aussi que L’HYPERAMBITION différée, laissant sur le carreau une moitié d’exclus de passeport.

NI MARCHE ARRIÈRE, NI FUITE EN AVANT.

Enfin, ultime regard en arrière embrumé de reconnaissance envers le nouveau comité[26], quelques mots tirés d’un poème d’un très cher ami qui n’as pas quitté la veine surréaliste et relate un rêve où il se voit en « vis d’Archimède dont les pas s’enfoncent dans un vide sidéral ». Voilà qui au fond me convient très bien.

Farewell les amis. Portez-vous bien tous.

Dario Ciprut, 25.11.2024

Notes

[1] Les notes ne font pas partie de l’exposé oral.

[2] StopExclusion émergeait à peine du combat de l’interdiction des minarets, perdu pour la Suisse mais pas à Genève.

[3] Il regroupait le CCSI, Camarada, Maison Kultura (faîtière d’une soixantaine d’associations membres) et la section genevoise de la LDH.

[4] C’est ainsi que la Constituante désignait les pétitions qui lui étaient adressées.

[5] C’est Julien Cart qui avait été mandaté par Kultura pour coordonner ce projet.

[6] Rejoint par le SIT, la FAGE et DiverCité.

[7] Les deux Julien Cart et Reinhard, Olga Baranova, Pilar Ayuso, Anne-Marie Barone et Alpha Dramé, notamment.

[8] L’émotion m’étreint pour rendre ici l’hommage qui convient à l’appui tutélaire et bienveillant d’Yves Brutsch, âme agissante sur l’asile au CSP, créateur de StopExclusion et de l’ODAE, un peu au confluent de tout même s’il n’a joué aucun rôle direct à ViVRe. Il a engagé au CSP un civiliste nommé Aldo Brina, qui lui succéda. Ce n’est pas Daniel Dind ou Inge Hoffmann, invités mais absents, qui me contrediront.

[9] ViVRe a distribué aux constituants un faire part de mon crû à l’occasion de cet enterrement.

[10] Le comité de dissolution devrait s’engager à conserver une archive de www.dpge.ch consultable par le public.

[11] Le PL11061 en décembre 2012 et les PL12441&2 déposés le 8 février 2019, ne diffèrent pour l’essentiel que par la durée du séjour exigée, passée de 5 à 8 ans pour s’en tenir à l’acquis de la citoyenneté.

[12] Pierre Vanek ne niera pas j’espère en avoir déjà été le transparent rédacteur.

[13] Pas moins de 42 déposants·es.

[14] Pour une chronologie de cette séquence voir mon article sur notre site Web.

[15] Au complet : « Une vie ici, une voix ici, renforçons notre démocratie ».

[16] La question de l’opportunité d’un contreprojet n’a pas manqué de secouer le comité unitaire, auditionné le 15 février 2023, sans que l’on sorte de l’opacité entre les raisons des uns et des autres, ni que l’on connaisse les débats agitant la commission auditionnant le CE le 29 mars, veille des élections des 2 et 30 avril. Sa décision d’appui arrachée par vote en zoom le même jour a suscité ma désapprobation. L’offre du CE Apothéloz à collaborer à sa rédaction a été écartée par le GC le 22 juin 2023.

[17] Alors dispersée en 3 blocs, solidaritéS, PdT+Indép et Communistes, totalisant chacun 6.90%, 6.67% et 1.22% des suffrages, loin de l’historique majorité de 18.97% de voix et 21 sièges de 1997, déjà perdue avec 13.03% et 13 sièges de 2001.

[18] MM. Cramer, Hiler, Beer et Moutinot.

[19] Aujourd’hui figées en solidaritéS, Pdt, DAL, UP.

[20] Mesdames Fontanet, Hiltpold et Bachmann.

[21] Il y relevait plaisamment les traits communautaristes des positions de ce bretteur du PLR.

[22] Remerciements particuliers à José Sebastiao. L’UPA, pourtant membre du comité unitaire, ou Kultura, tardivement ou maladroitement impliquée, n’y sont guère intervenus.

[23] Enrober de sucre une pilule pour l’aider à passer revient à admettre l’amertume d’un contenu rebutant aux gosiers délicats. A l’exemple de Pascal Holenweg, tromper l’ennemi de classe avec la pommade lénifiante du socialisme de salon ne sera jamais ma recette. Si j’ai une recommandation à faire à qui se dévouerait pour une relève, c’est d’avancer fièrement et à visage découvert pour se faire respecter.

[24] Luxembourg excepté, qui compte 47% de population étrangère, l’Allemagne en compte moitié moins que la Suisse et la France bien moins du tiers.

[25] Pour un droit fondamental à la naturalisation, est le titre de la page de l’Initative Quatrequarts, repris dans l’invitation de StopEXclusion à la signer. Or ce droit est inventé pour la circonstance et ne figure à aucun catalogue des droits fondamentaux de l’ONU ou de l’UE. Il y a confusion avec le droit fondamental à une nationalité qui a trait au rejet de l’apatridie. Les étrangers en manque de passeport suisse ne sont sauf exceptions nullement apatrides, et il ne s’agit en réalité que d’uniformiser les règles d’accès à la nationalité suisse et de l’ouvrir plus largement aux résidents permanents qui en feraient la demande. DPGE réclame tout autre chose pour les résidents du canton de Genève, un accès automatique aux droits politiques complets mais restreints à la sphère politique cantonale déjà délimitée par la Constitution fédérale. C’est un accès non restrictif à une citoyenneté cantonale indépendante de la nationalité, pas à cette dernière, qui confère aussi bien d’autres droits à leurs détenteurs. Si le droit à la citoyenneté « locale » n’est pas considéré fondamental, il fait au moins l’objet de conventions au Conseil de l’Europe, non ratifiées par la Suisse ni la France, et d’objectif aux luttes civiques internationales que DPGE a su soutenir.

[26] Mon infinie reconnaissance va aux nouveaux membres du comité qui ont partagé mon sort d’octobre 2023 à ce jour, nommément Nicoletta Zappile, François Mireval et Eric Budry. Tous ont contribué à sortir l’association d’une crise qui faillit être létale et permis à DPGE de tenir son rang jusqu’à aujourd’hui.

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